samedi 20 mai 2017

RDVAncestral - Deux oui pour Angélique

Angélique, ma marquise des montagnes, a quitté son village natal d’Orelle, pour son promis Florentin, gars de la terre dans le village d’Avrieux en Savoie. Quelques lieues, quatre à cinq heures de marche séparent les deux paroisses. On devrait plutôt dire : 18 kilomètres séparent les deux communes, car on est dans le Département du Mont-Blanc et l’arrondissement de la Maurienne sous le Premier Empire.

AD 73 - extrait carte 1800
 
En 1813 voici deux mois, Florentin PORTAZ - 22 ans - fils de Joseph PORTAZ et de Catherine PASCAL a épousé  Marie Angélique BARD - 23 ans - fille de Claude BARD et de défunte Anne JULLIARD originaires d’Orelle. Tous les protagonistes sont laboureurs.

J’ai regardé attentivement à partir d’Orelle, me demandant si Angélique avait passé l'Arc au pont des chèvres pour ensuite filer à Saint-André, traverser Modane et Le Bourget, avant d’atteindre sa destination.

La cérémonie  du transport du trousseau et du mobilier, en cortège dans un char tiré par des mulets, a-t-elle été respectée ? Je le pense, car elle a un sens symbolique d’une étape de séparation : la future allant vivre dans la maison du mari. En raison de la distance, c’était peut-être la veille.

Arrivée à Avrieux, je jette un coup d’œil à l’église, note ses maisons ramassées tout autour, proches les unes des autres comme pour se protéger à la mauvaise saison. Tout est calme, les femmes s’affairent à l’intérieur en ce début d’après-midi de mai. Le ciel est lumineux, l’air assez frais à plus de 1000 mètres d’altitude et la fière Dent Parrachée veille sur la vallée.

Je trouve Angélique à côté du puits, son seau est posé sur la margelle. Elle a l’intuition que je me suis attachée à elle, à son Florentin, ses proches, ses descendants.

Gallica - Puits

Me dira-t-elle s’il s’agit d’un mariage où les sentiments avaient leur place, si elle est bien ou peu dotée ? D’autant qu’il convient aussi de renouveler le patrimoine génétique des familles. J’espère que le promis ne convole pas uniquement pour échapper à la levée supplémentaire de soldats, après la désastreuse campagne de Russie de Napoléon en 1812, au moment où l’Europe gronde.

En tout cas Angélique et Florentin ont prononcé deux fois oui !

Angélique m’a chuchoté que pour des histoires de papiers, ils sont passés devant le maire pour dire leur premier oui. Je lui confirme qu’Alexis DUPUY était bien la personne compétente le mercredi 17 mars 1813 pour constater la validité de l’union avec son Florentin.

Je garde pour mon moi l'idée que les nouvelles règles sont précieuses pour l’histoire de sa famille. J’ai ainsi découvert les dates de naissance des mariés, celle du décès de sa mère, les noms et professions et âges des témoins choisis. Il y a quand même du bon dans le nouveau code : appelé tantôt code Napoléon, tantôt code civil selon les changements de régime …

Et merveille pour la Savoie – enfin pour le généalogiste -  cette époque m’a fait découvrir les premières signatures de mes ancêtres savoyards. Certes c’est écrit Porte dans les actes,  prononcé parait-il Porta et  signé tantôt Porte, ou Portaz. Pour ce patronyme, c’est toujours aussi confus qu’au siècle précédent.

Mais j’ai les signatures de Florentin, de son père Joseph et des quatre témoins tous laboureurs et tous d’Avrieux, signatures qui donnent l'impression qu’ils savent lire et écrire. Joseph PORTAZ a d’ailleurs été adjoint au Maire quelque temps. Angélique et son père ne signent pas.

Angélique m’a chuchoté que le plus important, c’est le mariage religieux. Devant le prêtre les mariés ont dit oui pour la seconde fois, et c’est ce qui est valable pour les habitants. Le registre paroissial conservé, en latin, est plus succinct, mais il y a la mention de la dispense accordée en raison de l’union en temps prohibé, car on était proche des fêtes de Pâques. Un des témoins religieux était présent déjà à la mairie, le second est le parrain du marié.

Angélique était-elle habillée de noir, robe neuve ou celle de sa défunte mère comme c’est parfois la coutume. Avait-elle une ceinture blanche ou de couleur, peut-être ornée de clinquants et de chaînettes, nouée par sa fille d’honneur le matin, et dénouée le soir par son nouvel époux.

Je n’ai pas osé demander si la noce s’est déplacée en cortège dans le village, si les invités étaient nombreux lors du repas, s’il y avait un vieilleux pour les faire danser. Des craintes d’une nouvelle famine, en raison des mauvaises récoltes de l’année précédente, devaient tarauder les villageois.

Le plus important pour toutes les deux est le moment partagé, un moment de pause pour Angélique, comme un instant volé qui lui est personnel. Elle s’adapte progressivement à la cohabitation avec ses beaux-parents, ses beaux-frères et belles-sœurs dans un nouveau logis. Elle n’a pas le temps de rêver avec tous les tâches à accomplir à l’intérieur, et aussi dehors aux champs pour aider les hommes. 

Oui, il y aura des enfants, je lève le doute : au moins 5.

- Jacques-François marié à Euphrosine CORDOLLAZ mes ancêtres,
- Christine mariée à Etienne DUPUY
- Marie-Dominique et Benoîte (évoquée ici) restées célibataires
- Un angelot au prénom inconnu.

Si l’échange vous paraît un peu confus, disons que c’est lié à l’altitude ou le fait d'avoir remonté le temps. C’est aussi une prise de contact avec la Haute Maurienne.

Angélique des montagnes et Florentin au prénom peu usité, je vous remercie de m’avoir guidée vers votre belle région et incitée à me renseigner sur votre quotidien.  


Sources
Archives départementales Savoie
Avrieux EC 1812-1813 3E 495 vue 38 et RP 1803-1823 vue 61

vendredi 12 mai 2017

Demoiselle Polixène

C’est tout simplement la sépulture en 1776 d’une enfant noble, de 2 ans 28 jours, sur la petite commune de Beaufort sur Gervanne dans la Drôme, croisée au fil des pages d’un registre. Le rédacteur de l’acte s’est appliqué d’une belle écriture, compte tenu de la filiation de ladite demoiselle.
 
Gallica - Fillette - Antoine Watteau
 « Le dix neuf janvier mille sept cent soixante et seize dans l’église paroissiale de Beaufort a été ensevelie par moi curé commis soussigné,
le corps de demoiselle Polixène de Clerc la Deveze morte le jour précédent âgée de deux ans vingt huit jours, fille naturelle et légitime de très haut et très puissant Seigneur Pierre Paul René François Marquis de Clerc la Deveze, chevalier de l’ordre royal et militaire de St Louis Seigneur du présent lieu de Beaufort, Gigors, Pierrerue, Ferrieres, Rieussales et autres lieux…
et de très haute et très puissante Jane Magdeleine Angélique de la Tour du Pin Montauban son épouse
Ont assisté à la sépulture Demoiselle Magdeleine Portier Carierre, Demoiselle Marianne Martin Portier, Jean Nier et François Berard,  le premier de ce enquis et requis
Rochan curé commis »


On est au début du règne de Louis XVI : Demoiselle Polixène est ensevelie dans l’église car par son père elle est issue d’une famille originaire de Saint-Pons en Languedoc, et par sa mère elle a un enracinement dans le Dauphiné.

Son grand-père Jean-François, marquis de Clerc La Devèze, brigadier des armées du Roi Louis XV, mourut en 1748 des suites des fatigues qu'il essuya (sic) dans l'île de Cazau dont M. de Lowendal lui avait confié le commandement pendant le siège de la ville de Berg-op-Zoom, dans les Provinces-Unies. On est là dans un épisode de la guerre de Succession d'Autriche.

De son mariage avec Marie Renée Lucrèce de La Tour du Pin Montauban, il laissa entre autres enfants, Pierre Paul René François, marquis de Clerc La Devèze, né en 1736.

Ce dernier, père de Polixène, fut page du Roi à la petite écurie, puis capitaine d'infanterie, marié en 1763 avec Madeleine Angélique de La Tour du Pin Montauban, sa cousine germaine, dont il eut deux fils jumeaux, nés le 22 octobre 1766.

L'un des frères de Polixène fut le marquis de Clerc de La Devèze, père de Raoul de Clerc de La Devèze. Celui-ci, membre du conseil général de l’Aisne son département, fut élu représentant du peuple à l'Assemblée législative au mois de mai 1849 pendant la courte seconde République.

Petit clin d'œil  avec des serviteurs du pays, qui bizarrement, relie deux départements concernés par mes recherches.
                         
Avait-on expliqué à l’enfant qu’elle tenait son prénom de la mythologie grecque, princesse troyenne, fille de Priam et d’Hécube, qui fut aimée d’Achille…

Claude VINCENT armurier et maitre-serrurier, son épouse Louise ROLLAND (mes ancêtres sur Beaufort sur Gervanne) et leurs enfants, avaient-ils croisé la petite Demoiselle ou ses très hauts et puissants parents … En tout cas les  gentes dames qui sont les témoins pour Polixène, furent marraines des enfants du couple. 


Sources : Annuaire de la noblesse de France 1851 page 352
Gallica/BnF : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k36579p/f371.item
http://saint-pons-de-thomieres.pagesperso-orange.fr/clerc-sahuc.html